La vidéosurveillance pour éviter les suicides en prison

Avr 1, 2009

Le docteur Louis Albrand, en charge d’un groupe de réflexion sur le suicide en prison, remet, mercredi 1er avril, à la chancellerie ses préconisations.

Tous les trois jours, en moyenne, un gardien découvre le corps sans vie d’un prisonnier. Depuis le 1er janvier 2009, 35 détenus se sont ainsi donné la mort, selon l’Observatoire international des prisons (OIP). Tandis qu’à la même date, en 2008, on dénombrait 21 suicides dans les prisons françaises.

C’est dans le but d’endiguer et de prévenir ce phénomène que le docteur Louis Albrand, à la tête d’un groupe d’une trentaine de spécialistes du monde carcéral, remet, mercredi 1er avril, à la chancellerie un rapport de 150 pages intitulé « La prévention du suicide en milieu carcéral ».

Très éclectiques, ses 20 préconisations visent autant à humaniser la détention qu’à empêcher techniquement tout passage à l’acte. Si certaines propositions reprennent les demandes des associations œuvrant en milieu carcéral, d’autres sont plus inattendues.

C’est le cas, notamment, du recours à la vidéosurveillance. Le médecin préconise d’expérimenter la vidéo en cellule pour les détenus ayant fait plusieurs tentatives de suicide. Notamment lorsqu’une « relation de confiance n’a pu être établie et que la crise suicidaire n’est pas désamorcée ».

Des dispositifs de soutien psychologique par téléphone

Conscient du risque de « déshumanisation » d’un tel dispositif, le médecin assure qu’il ne concernerait que les détenus en très grande détresse. Il rappelle, au passage, que « les quelques unités hospitalières qui l’utilisent changent massivement d’opinion lorsque ce système permet de sauver des personnes».
Autre expérimentation, très fonctionnelle, voulue par le médecin : la distribution de draps et vêtements déchirables aux détenus montrant des tendances suicidaires. Et ce, dans le but de les empêcher de se fabriquer des liens auxquels se pendre. Le dispositif serait, par ailleurs, complété par la création de « cellules sécurisées », entièrement lisses, sans point d’accroche.

D’autres mesures, réclamées de longue date par les militants associatifs, visent à humaniser le temps de la détention. Le rapport préconise ainsi que tout nouvel arrivant puisse avoir accès à une visite en parloir ou à une communication téléphonique dès la première semaine de son incarcération. Chose rare aujourd’hui.

Le médecin appelle, par ailleurs, à la généralisation à l’ensemble des centres pénitentiaires des dispositifs de soutien psychologique par téléphone. La mise en place d’interphones dans l’ensemble des cellules est, elle aussi, encouragée. Le rapport souhaite également que l’administration pénitentiaire permette aux prisonniers d’emmener une radio en quartier disciplinaire. Et ce, en vue de rompre un isolement.

Il faut « travailler à l’humanisation des détenus entre eux »

Dernière nouveauté du rapport : l’implication des codétenus dans la prévention du suicide. Partant du fait que certains prisonniers acceptent déjà, ponctuellement, de partager la cellule de ceux montrant des signes suicidaires, le médecin propose de former ceux qui l’acceptent « à gérer une situation difficile de risque de passage à l’acte suicidaire d’un cocellulaire». Et le médecin d’ajouter : « On ne peut pas se contenter d’appeler à l’humanisation du personnel pénitentiaire, sans travailler aussi à l’humanisation des détenus entre eux », précise l’auteur du rapport.

S’inspirant des expériences étrangères (notamment espagnole et anglaise), Louis Albrand insiste pour que le rôle de ces détenus soit officiellement reconnu. En échange de ce «service», ils pourraient se voir octroyer une réduction de peine.

Cette proposition pourrait faire polémique. Elle avait, en effet, été avancée en 2004 par le médecin Jean-Louis Terra, chargé à l’époque, déjà, de réfléchir aux manières d’endiguer le suicide en prison. Très réticents à l’idée de faire participer les détenus à une mission ne relevant pas d’eux, les professionnels du monde carcéral avaient empêché la mise en place de « détenus-référents ».

Généraliser les groupes de parole personnel-prisonniers

De nombreuses voix s’étaient fait entendre pour fustiger la responsabilité morale pesant sur les épaules des prisonniers et rappeler que l’intégrité physique des détenus était une mission de l’administration pénitentiaire, et non du public dont elle a la charge. Sans ignorer ces arguments, Louis Albrand appelle à une évolution des mentalités au nom du « pragmatisme ».

Le rapport promeut, enfin, un renforcement de la formation des agents pénitentiaires. Des équipes «référence locale» (regroupant un gradé, un cadre de santé et un personnel d’insertion) devraient détecter les risques suicidaires des détenus.

La généralisation des groupes de parole, associant personnels et prisonniers, est, elle aussi, envisagée. Le rapport appelle enfin à un meilleur échange d’information entre les surveillants et les équipes de santé, ainsi qu’à la mise en place d’une étude épidémiologique par l’Institut de veille sanitaire (InVS) pour lister « les caractéristiques communes des personnes décédées par suicide ».

Source: LaCroix